Tractatus logico-philosophicus (français): Difference between revisions

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Il est humainement impossible de se saisir immédiatement, à partir d'elle, de la logique de la langue.
Il est humainement impossible de se saisir immédiatement, à partir d'elle, de la logique de la langue.


La langue déguise la pensée. Et de telle manière que l'on ne peut, d'après la forme extérieure du vêtement, découvrir la forme de la pensée qu'il habille; car la forme extérieure du
La langue déguise la pensée. Et de telle manière que l'on ne peut, d'après la forme extérieure du vêtement, découvrir la forme de la pensée qu'il habille; car la forme extérieure du vêtement est modelée à de tout autres fins qu'à celle de faire connaître la forme du corps.
 
'''4.003''' La plupart des propositions et des questions qui ont été écrites touchant les matières philosophiques ne sont pas fausses, mais sont dépourvues de sens. Nous ne pouvons donc en aucune façon répondre à de telles questions, mais seulement établir leur non-sens. La plupart des propositions et questions des philosophes découlent de notre incompréhension de la logique de la langue.
 
(Elles sont du même type que la question: le Bien est-il plus ou moins identique que le Beau?)
 
Et ce n'est pas merveille si les problèmes les plus profonds ne sont, à proprement parler, ''pas'' des problèmes.
 
'''4.0031''' Toute philosophie est « critique du langage ». (Mais certainement pas au sens de Mauthner<ref>Auteur de ''Contributions à une critique du langage'' (1903). Son influence sur Wittgenstein apparaît néanmoins clairement dans cette citation: « Sitôt que nous avons vraiment quelque chose à dire, il faut nous taire » (''Contributions I'', p. 111), à rapprocher de l'aphorisme 7 du ''Tractatus''.</ref>.) Le mérite de Russell est d'avoir montré que la forme logique apparente de la proposition n'est pas nécessairement sa forme logique réelle.
 
'''4.01''' La proposition est une image de la réalité.
 
La proposition est un modèle de la réalité, telle que nous nous la figurons.
 
'''4.011''' À première vue, la proposition – telle qu'elle est imprimée sur le papier, par exemple – ne paraît pas être une image de la réalité dont elle traite. Mais la notation musicale, à première vue, ne paraît pas être non plus une image de la musique, ni nos signes phonétiques (les lettres) une image des sons de notre langue.
 
Et pourtant ces symbolismes se révèlent bien comme étant, même au sens usuel du mot, des images de ce qu'ils présentent.
 
'''4.012''' Il est patent que nous percevons une proposition de la forme « aRb » comme une image. Il est patent qu'ici le signe est une métaphore<ref>''Gleichnis''.</ref> du dénoté.
 
'''4.013''' Et si nous pénétrons l'essence de cette capacité d'être image, nous voyons qu'elle n'est pas perturbée par d'apparentes irrégularités (comme l'emploi du dièse et du bémol dans la notation musicale).
 
Car ces irrégularités mêmes représentent ce qu'elles doivent exprimer; mais seulement d'une autre manière.
 
'''4.014''' Le disque de phonographe, la pensée musicale, la nota- tion musicale, les ondes sonores sont tous, les uns par rapport aux autres, dans la même relation représentative interne que le monde et la langue.
 
À tous est commune la structure logique.
 
(Comme dans le conte, les deux jeunes gens, leurs deux che- vaux et leurs lis. Ils sont tous en un certain sens un.)
 
'''4.0141''' Qu'il y ait une règle générale grâce à laquelle le musicien peut extraire la symphonie de la partition, et grâce à laquelle on peut extraire la symphonie des sillons du disque, et derechef, selon la première règle, retrouver la partition, c'est en cela que repose la similitude interne de ces figurations apparemment si différentes. Et cette règle est la loi de projection qui projette la symphonie dans la langue de la notation musicale. C'est la règle de traduction de la langue de la notation musicale dans la langue du disque.
 
'''4.015''' La possibilité de toute métaphore, de toute capacité d'être image dans notre mode d'expression, repose sur la logique de la représentation.
 
'''4.016''' Pour comprendre l'essence de la proposition, pensons aux hiéroglyphes qui représentent les faits qu'ils décrivent. À partir d'eux, a été créée l'écriture alphabétique, sans que soit perdu l'essentiel de la représentation.
 
'''4.02''' Nous le voyons en ceci que nous comprenons le sens du signe propositionnel sans qu'il nous ait été expliqué.
 
'''4.021''' La proposition est une image de la réalité. Car je connais par elle la situation qu'elle présente, quand je comprends la proposition. Et je comprends la proposition sans que son sens m'ait été expliqué.
 
'''4.022''' La proposition ''montre'' son sens.
 
La proposition ''montre'' ce qu'il en est des états de choses ''quand'' elle est vraie. Et elle ''dit qu''<nowiki/>'il en est ainsi.
 
'''4.023''' La réalité doit être fixée par oui ou par non grâce à la proposition.
 
Il faut pour cela qu'elle soit complètement décrite par la pro- position.
 
La proposition est la description d'un état de choses.
 
Alors que la description d'un objet se fait par ses propriétés externes, la proposition décrit la réalité par ses propriétés internes.
 
La proposition construit un monde au moyen d'un échafaudage logique, et c'est pourquoi l'on peut voir dans la proposition, ''quand'' elle est vraie, ce qu'il en est de tout ce qui est logique. On peut d'une proposition fausse tirer des ''inférences''.
 
'''4.024''' Comprendre une proposition, c'est savoir ce qui a lieu quand elle est vraie.
 
(On peut donc la comprendre sans savoir si elle est vraie.)
 
On la comprend quand on comprend ses constituants.
 
'''4.025''' La traduction d'une langue dans une autre ne se produit pas par la traduction d'une proposition de l'une dans une proposition de l'autre; seuls sont traduits les constituants de la proposition.
 
(Et le dictionnaire ne traduit pas seulement les substantifs, mais aussi les verbes, les adjectifs, les conjonctions, etc.; et il les traite tous de la même façon.)
 
'''4.026''' Les significations des signes simples (des mots) doivent nous être expliquées pour que nous les comprenions.
 
Avec les propositions, nous nous entendons mutuellement.
 
'''4.027''' Il est dans la nature de la proposition de pouvoir nous communiquer un sens ''nouveau''.
 
'''4.03''' Une proposition doit communiquer un sens nouveau avec des expressions anciennes.
 
La proposition nous communique une situation, donc elle doit avoir une interdépendance essentielle avec cette situation.
 
Et cette interdépendance consiste justement en ce qu'elle est l'image logique de la situation.
 
La proposition ne dit quelque chose que dans la mesure où elle est image.
 
'''4.031''' Dans la proposition, les éléments d'une situation sont pour ainsi dire rassemblés à titre d'essai.
 
On peut directement dire, au lieu de cette proposition a tel ou tel sens, cette proposition figure telle ou telle situation.
 
'''4.0311''' Un nom est mis pour une chose, un autre pour une autre, et ils sont reliés entre eux, de telle sorte que le tout, comme un ''tableau vivant''<ref>''lebendes Bild''. Nous empruntons à la traduction anglaise de D.F. Pears et B.F. McGuiness le mot français: « tableau vivant ».</ref>, figure un état de choses.
 
'''4.0312''' La possibilité de la proposition repose sur le principe de la position de signes comme représentants des objets. Ma pensée fondamentale est que les « constantes logiques ne sont les représentants de rien. Que la ''logique'' des faits ne peut elle-même avoir de représentant.
 
'''4.032''' La proposition est une image d'une situation dans la mesure seulement où elle est logiquement segmentée.
 
(Même la proposition « ambulo » est composée, car son radical accompagné d'une autre terminaison et sa terminaison accompagnant un autre radical donnent un autre sens.)
 
'''4.04''' Dans la proposition, il doit y avoir exactement autant d'éléments distincts que dans la situation qu'elle présente.
 
Toutes deux doivent posséder le même degré de multiplicité logique (mathématique). (Comparez avec la « Mécanique » de Herz, à propos des modèles dynamiques.)
 
'''4.041''' Cette multiplicité mathématique ne peut naturellement être elle-même à son tour représentée. On ne peut se placer en dehors d'elle en la représentant.
 
'''4.0411''' Si nous voulions, par exemple, exprimer au moyen d'un indice préfixé, tel que « Gén.fx », ce que l'on exprime par « (x)fx », cela ne serait pas suffisant, car nous ne saurions pas ce qui est généralisé. Si nous voulions l'exprimer par un indice suffixé « α », tel que : « f(x<sub>α</sub>) », ce ne serait pas non plus suffisant, car nous ne saurions pas quelle est la portée de la notation de généralisation.
 
Si nous voulions essayer de l'exprimer en introduisant une marque aux places des arguments, comme par exemple: « (G,G) . F(G,G) », cela ne suffirait pas, car nous ne pourrions fixer l'identité des variables. Etc.
 
Tous ces modes de dénotation sont insuffisants, en ce qu'ils ne possèdent pas le degré nécessaire de multiplicité mathématique.
 
'''4.0412''' Pour la même raison, l'explication idéaliste de la vision des relations spatiales par des « lunettes d'espace » ne suffit pas, car elle ne peut expliquer la multiplicité de ces relations.
 
'''4.05''' La réalité est comparée à la proposition.
 
'''4.06''' La proposition ne peut être vraie ou fausse que dans la mesure où elle est une image de la réalité.
 
'''4.061''' Si l'on ne considère pas que le sens de la proposition est indépendant des faits, on peut facilement croire que le vrai et le faux sont, au même titre, des relations des signes au dénoté.
 
On pourrait dire alors, par exemple, que « p » dénote selon la vérité, ce que « ~p » dénote selon la fausseté, etc.
 
'''4.062''' Ne peut-on se faire comprendre au moyen de propositions fausses, comme on l'a fait jusqu'à présent avec des vraies?