Tractatus logico-philosophicus (version arborescente interactive)

 Tractatus logico-philosophicus 


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Ludwig Wittgenstein

Tractatus logico-philosophicus (version arborescente interactive)

 

Cette édition digitale est une reproduction de l’édition papier suivante : Ludwig Wittgenstein (traduction, préambule et notes de Gilles Gaston Granger), Tractatus logico-philosophicus, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1993. La transcription publiée sur ce site internet a été réalisée par Michele Lavazza et corrigée par Thomas Houlié. Le texte original est dans le domaine public dans tous les pays pour lesquels le droit d’auteur a une durée de vie de 70 ans ou moins après la mort de l’auteur. Tous les droits sur la traduction appartiennent au Centre Gilles Gaston Granger. Le Ludwig Wittgenstein Project remercie les Directeurs du Centre Gilles Gaston Granger de l’avoir autorisé à publier cette édition digitale. Toute reproduction de ce texte est interdite.

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Préambule du traducteur

Faut-il faire précéder d'une préface la traduction du Tractatus ? L'exemple malheureux de Russell suffirait à nous en dissuader. Rédigée par l'un des philosophes les plus pénétrants de son temps, et apparemment le plus capable de comprendre l'originalité de son cadet, sa préface que l'on lira n'eut pas l'heur, c'est le moins que l'on puisse dire, de plaire à Wittgenstein. Il écrit dans une lettre en allemand du 6 mai 1922, adressée à Russell:

Ton Introduction ne sera pas imprimée, et, par conséquent, il est vraisemblable que mon livre ne le sera pas non plus. Car lorsque j'ai eu devant les yeux la traduction allemande de l'Introduction, je n'ai pu alors me résoudre à la laisser imprimer avec mon livre. La finesse de ton style anglais s'était en effet, comme il est naturel, perdue dans la traduction, et ce qui restait n'était que superficialité et incompréhension[1]... »

Il est permis d'attribuer au souci de ménager quelque peu son ami l'allusion à la « finesse du style anglais » et de retenir surtout la « superficialité et l'incompréhension ». Jugement sévère, mais pas tout à fait inexact comme pourra s'en assurer le lecteur. Avec infiniment moins de talent que Russell mais beaucoup plus de recul, il ne serait sans doute pas impossible d'espérer éviter un désaveu aussi radical – qui ne serait alors il est vrai, de toute façon, que posthume. Le présent traducteur ne s'y risquera pourtant pas, estimant que, malgré sa difficulté et son laconisme, le texte du Tractatus peut aujourd'hui être présenté dans son orgueilleuse et souveraine nudité.

Le Tractatus propose une philosophie complète. Les sept aphorismes principaux ne sont cependant pas des thèses, mais des élucidations, successivement enchaînées, de ce qu'il est légitime de formuler dans le langage touchant la réalité (le monde). Il s'agit donc d'une philosophie « négative », au sens où les théologiens parlent d'une théologie négative, circonscrivant seulement les frontières de ce qui serait pensable à propos de Dieu. Le Tractatus a pour but non de dire ce qu'est la réalité du monde, mais de délimiter ce qui en est pensable, c'est-à-dire exprimable dans un langage. Et seules les propositions de la science, vraies ou fausses, satisferaient à cette exigence. Le discours du philosophe ne peut que rendre manifeste le fonctionnement correct du langage et montrer le caractère illusoire de son usage lorsqu'il prétend aller au-delà d'une description des faits.

Wittgenstein reviendra plus tard, dans ses écrits postérieurs, sur les difficultés internes de cette philosophie négative, sans toutefois abandonner vraiment l'idée qu'un tel discours ne peut rien nous dire du monde des faits. Il insistera alors sur la pluralité des formes possibles d'utilisation du langage, et sur le caractère thérapeutique de l'usage que le philosophe en peut faire. Aussi bien, comme il le fait remarquer lui-même en quelque endroit, on ne saurait saisir le sens de cette philosophie renouvelée que si l'on a traversé le moment du Tractatus.

Ce bref ouvrage n'est pas seulement un des textes marquants de la philosophie contemporaine, il est aussi une œuvre d'art qui frappe par la concision incisive de la langue et la cadence souvent poétique du style philosophique. Incessu, comme dit le poète, incessu patuit dea. « À sa démarche on reconnut la déesse. » Une traduction parfaite devrait donc transposer dans notre langue et faire sentir au lecteur cette qualité littéraire. On ne saurait se vanter d'y être généralement parvenu. D'autant plus qu'une autre exigence, dominante, devait être satisfaite, à savoir l'obligation majeure de transmettre exactement le contenu philosophique du texte. Pour y parvenir une condition minimale était de maintenir en français une uniformité de traduction rigoureuse du vocabulaire philosophiquement significatif, bien que le contexte français suggère parfois des variantes ; on trouvera dans l'index les mots allemands ainsi traduits. On a ajouté quelques notes, en très petit nombre, soit pour attirer l'attention en cours de lecture sur le mot allemand, soit pour éclairer le sens littéral d'une expression, mais jamais pour esquisser un commentaire ou une interprétation philosophique, largement réalisée dans d'autres ouvrages ainsi que par d'autres auteurs.

Gilles Gaston Granger
« Cassiopée », août 1992

Cette traduction doit beaucoup à Françoise Hock, naguère ma collègue à l'Université de Provence, qui a bien voulu en réviser, et en a considérablement amélioré, une première version. Je lui exprime ici le plaisir que m'a donné cette collaboration, et ma très vive gratitude. Il va de soi que je suis seul responsable de l'ensemble et des aspects critiquables qui peuvent y subsister.


Ludwig Wittgenstein

Traité logico-philosophique

Tractatus logico-philosophicus


Dédicace

Dédié à la mémoire de mon ami
DAVID H. PINSENT


Devise

Devise : ... et tout ce que l'on sait, qu'on n'a pas seulement entendu comme un bruissement ou un grondement, se laisse dire en trois mots.

Kürnberger


Avant-propos

Ce livre ne sera peut-être compris que par qui aura déjà pensé lui-même les pensées qui s'y trouvent exprimées – ou du moins des pensées semblables. Ce n'est donc point un ouvrage d'enseignement. Son but serait atteint s'il se trouvait quelqu'un qui, l'ayant lu et compris, en retirait du plaisir.

Le livre traite des problèmes philosophiques, et montre – à ce que je crois – que leur formulation repose sur une mauvaise compréhension de la logique de notre langue. On pourrait résumer en quelque sorte tout le sens du livre en ces termes : tout ce qui proprement peut être dit peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.

Le livre tracera donc une frontière à l'acte de penser, – ou plutôt non pas à l'acte de penser, mais à l'expression des pensées : car pour tracer une frontière à l'acte de penser, nous devrions pouvoir penser les deux côtés de cette frontière (nous devrions donc pouvoir penser ce qui ne se laisse pas penser).

La frontière ne pourra donc être tracée que dans la langue, et ce qui est au-delà de cette frontière sera simplement dépourvu de sens.

Jusqu'à quel point mes efforts coïncident avec ceux d'autres philosophes, je n'en veux pas juger. En vérité, ce que j'ai ici écrit n'élève dans son détail absolument aucune prétention à la nouveauté ; et c'est pourquoi je ne donne pas non plus de sources, car il m'est indifférent que ce que j'ai pensé, un autre l'ait déjà pensé avant moi.

Je veux seulement mentionner qu'aux œuvres grandioses de Frege et aux travaux de mon ami M. Bertrand Russell je dois, pour une grande part, la stimulation de mes pensées.

Si ce travail a quelque valeur, elle consiste en deux choses distinctes. Premièrement, en ceci, que des pensées y sont exprimées, et cette valeur sera d'autant plus grande que les pensées y sont mieux exprimées. D'autant mieux on aura frappé sur la tête du clou. Je suis conscient, sur ce point, d'être resté bien loin en deçà du possible. Simplement parce que mes forces sont trop modiques pour dominer la tâche. Puissent d'autres venir qui feront mieux.

Néanmoins, la vérité des pensées ici communiquées me semble intangible et définitive. Mon opinion est donc que j'ai, pour l'essentiel, résolu les problèmes d'une manière décisive. Et si en cela je ne me trompe pas, la valeur de ce travail consiste alors, en second lieu, en ceci, qu'il montre combien peu a été fait quand ces problèmes ont été résolus.

L.W.

Vienne, 1918.




[Afficher]1 Le monde est tout ce qui a lieu[N].
[Afficher]2 Ce qui a lieu, le fait, est la subsistance[5] d'états de chose.
[Afficher]3 L'image logique des faits est la pensée.
[Afficher]4 La pensée est la proposition pourvue de sens.
[Afficher]5 La proposition est une fonction de vérité des propositions élémentaires.

(La proposition élémentaire est une fonction de vérité d'elle-même.)

[Afficher]6 La forme générale de la fonction de vérité est : .

C'est la forme générale de la proposition.

7 Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.

  1. Les nombres décimaux attachés à chaque proposition indiquent leur poids logique, leur importance dans mon exposition. Les propositions numérotées n.1, n.2, n.3, etc. sont des remarques à la proposition n ; les propositions numérotées n.ml, n.m2, etc. sont des remarques à la proposition n.m et ainsi de suite. (Seule note de Wittgenstein, toutes les autres, numérotées, sont du traducteur.)

  1. Publié dans Carnets (1914-1916), p. 235, trad. G. Granger, Gallimard, 1971.
  2. Sachlage. Employé par Wittgenstein apparemment comme substitut plus vague de fait possible ou réel.
  3. Wittgenstein use des mots darstellen, vorstellen, abbilden pour exprimer l'idée de représenter. Sans être sûr que les différences, dans son texte, soient toujours autres que purement stylistiques, je traduirai dans le Tractatus darstellen par figurer, vorstellen par présenter, abbilden par représenter et Abbildung par représentation. On trouvera aussi vertreten : être le représentant, le substitut de.
  4. Il y a trois définitions du monde : les faits dans l'espace logique (1.13), la totalité des états de choses subsistants (2.04), la totalité de la réalité (2.063), qui doivent coïncider.
  5. das Bestehen. La traduction « existence » me semble renvoyer trop directement à l'empirie, alors qu'il s'agit essentiellement d'existence dans l'espace logique. « Existence » traduira : Existenz, vocable qui semble être employé le plus souvent en un sens encore plus abstrait, par exemple l'existence d'un concept.
  6. bedeutet. On distinguera la traduction de ce verbe de celles de : aufweisen (montrer sans pouvoir exprimer, 2.172 par exemple), et de : bezeichnen (indiquer, dénoter, mot général et assez vague s'appliquant aussi bien au signe propositionnel qu'au nom). On traduira Bedeutung par : signification.
  7. aussprechen.
  8. unsinnig.
  9. Begriffsschrift.
  10. Existenz.
  11. Auteur de Contributions à une critique du langage (1903). Son influence sur Wittgenstein apparaît néanmoins clairement dans cette citation : « Sitôt que nous avons vraiment quelque chose à dire, il faut nous taire » (Contributions I, p. 111), à rapprocher de l'aphorisme 7 du Tractatus.
  12. Gleichnis.
  13. lebendes Bild. Nous empruntons à la traduction anglaise de D.F. Pears et B.F. McGuiness le mot français : « tableau vivant ».
  14. Existenz.
  15. sinnvolle.
  16. Wittgenstein note par le symbole le nombre des combinaisons de n objets ν à ν, soit :

    Il y a en tout : situations possibles.
    Il additionne en effet les nombres de combinaisons de n propositions (ou états de choses) dans lesquelles entrent 0, 1, 2,... ν propositions vraies (ou états de choses subsistants). Le calcul direct usuel du nombre des arrangements des 2 objets V et F n à n avec répétition est apparemment plus intuitif.
  17. D'après le calcul de la note précédente L = 2 exp 2n. Il s'agit alors en fait de dénombrer les connecteurs logiques de n propositions. On additionne les nombres de situations de n propositions comportant 0, 1, 2,... Kn combinaisons vraies. L'intérêt de ce calcul peu intuitif est qu'il est formellement identique au précédent, le nombre Kn des situations remplaçant le nombre n des propositions.
  18. sinnlos. Par opposition à unsinnig, dépourvu de sens. Tautologie et contradiction n'apportent aucune information sur le monde. Elles ont un sens, mais vide de tout contenu. Voir l'analogie avec le zéro arithmétique à l'aphorisme 4.4611.
  19. Die Einheit des Wahrscheinlichkeitssatzes.
  20. Grundgesetze, I. § 63. ; II. § 58., 67. En particulier une définition doit être « complète » ; elle doit permettre de donner un sens à l'application du concept à un objet, même si cette application est fausse.
  21. Identität.
  22. Gleichheit.
  23. Cette consigne est trop vague. Une fois q remplacé par p, il faut évidemment veiller à ce que les valeurs de vérité de l'unique proposition p soient les mêmes à gauche et à droite du schéma, qui se réduit alors en effet à :
    TLP 6.1203footnote-fr.png
  24. Sinn.
  25. Bedeutung.
  26. Bedeutung.
  27. Sinn.
  28. Widerspruch.
  29. Kontradiktion.
  30. nichts Höheres.